• À Lyon la colère reste intacte

    À Lyon, en 2004, au moment de Sauvons la recherche, nous étions fiers d’avoir réussi à mettre à cinq reprises 1 000 manifestants dans la rue. Cette fois-ci il y eut douze défilés à 2 000, 3 000, 5 000, 6 000 personnes, plus quelques-uns à 1 000 : manifestations colorées, imaginatives, toutes différentes. Le mouvement a commencé en novembre par les IUT. Le 11 décembre, sur le campus scientifique (Lyon-I), une AG a rassemblé 500 personnes (du jamais-vu sur ce campus plutôt calme habituellement !), surtout des enseignants-chercheurs et BIATOSS, mais aussi des étudiants. Le conseil d’administration de l’université a été bloqué deux fois dans la foulée. À partir du début février, les mouvements des trois universités et des Écoles normales supérieures ont convergé, en général toutes catégories confondues : grèves, blocages, rétentions de notes, cours hors les murs et hors le temps, « universithon », chaîne humaine, freezings, occupations, péages gratuits, printemps des chaises, diffusions de tracts, « suicides » collectifs, spectacles, journées thématiques, nuit du savoir… Le 5 février, un appel international, lancé par trois matheux locaux, était traduit en vingt langues et signé en trois semaines par 5 000 universitaires de 75 pays. Quelques jours après, c’était un appel national de doctorants qui partait de Lyon et recueillait des milliers de signatures. Du 25 au 29 avril, cent étudiants lyonnais se rendaient à Louvain pour un contre-sommet en réaction à celui des ministres du « processus de Bologne ». Et pourtant, le gouvernement n’a presque rien concédé, ni sur le décret qui précarise les enseignants-chercheurs, ni sur le contrat doctoral unique (traduire : un CPE pour thésards), ni sur la réforme désastro-aventureuse de la formation des maîtres. Seuls quelques postes ont été rétablis et diverses mesures adoucies. Est-ce à dire que ce mouvement doit être apprécié comme la grève des mineurs anglais face à laquelle l’intransigeance de Thatcher avait découragé durablement la protestation sociale ? Je pense le contraire. Dans la Grande-Bretagne de 1984-1985, il s’agissait de la fin d’une époque ; cette fois-ci, c’est plutôt une ère nouvelle qui pointe. Pour divers universitaires, c’était la première lutte, la première manif de leur vie. Pour la génération des 30-40 ans, jusqu’ici plutôt dans l’expectative, c’était souvent la première participation militante en tant qu’acteurs et organisateurs. Pour beaucoup, c’est la découverte de la cohérence d’ensemble des « réformes » à l’université, dans la recherche, dans les hôpitaux, dans les services publics : en France, en Europe, dans le monde. Et la colère reste intacte.

    Pierre Crépel, Mathématicien et historien des sciences

    Source: http://www.humanite.fr/2009-05-25_Tribune-libre_Pierre-Crepel-Mathematicien-et-historien-des-sciences-A

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