• Faut-il défendre l’Université ? – Entre contraintes marchandes et utopie académique

    Texte paru dans ContreTemps n° 3 (nouvelle série), 3e trimestre 2009, PP. 35-45.

    Daniel Bensaïd, Europe Solidaire Sans Frontières, 1er juillet 2009

    Après l’adoption durant l’été 2007 de la loi LRU, dite d’autonomie des universités, nombre d’universitaires, choisissant d’ignorer le caractère orwellien de la rhétorique sarkozyste, ont complaisamment confondu le mot et la chose : en Sarkozie, l’autonomie, c’est l’hétéronomie ; et la loi Pécresse, l’autonomie contre l’autonomie : moins de pouvoir pédagogique aux enseignants, plus de pouvoir bureaucratique et administratif, plus de dépendance envers les financements privés et les diktats du marché. Il y a plus de dix ans, l’Areser dénonçait déjà la confusion entre autonomie concurrentielle et liberté académique : « L’invocation de l’autonomie des universités est devenue aujourd’hui une arme administrative pour justifier le désengagement global de l’Etat et pour diviser les établissements concurrents entre eux du point de vue de la distribution des moyens financiers. » [1]

    L’autonomie sauce bolognaise

    Au lendemain de Mai 68, les ministères Faure et Guichard détournaient l’aspiration du mouvement contestataire au profit d’une « adaptation de l’université aux besoins de l’économie capitaliste : «  Les mots clefs de cette reconversion sont l’autonomie et l’autogestion. Il s’agit de réduire le “corps dans l’Etat”, qu’était l’Université traditionnelle nantie de ses franchises, à une série d’unités associées aux économies régionales et de ramener le mouvement étudiant à un corporatisme provincialisée. » L’autonomie proclamée par les rénovateurs était déjà un prétexte pour « mettre fin à l’autonomie périmée de l’université libérale et pour ouvrir l’université à ses usages patronaux » [2]. C’est ce que signifiait en clair la formule alléchante « d’ouverture aux forces vives de la nation ». De réforme avortée, en réforme abrogée, il aura fallu quarante ans pour y parvenir. L’Europe libérale et le processus de Bologne aidant, nous y sommes.

    La Magna Charta adoptée en 1998 par les recteurs des universités européennes à l’occasion du neuvième centenaire de l’université de Bologne, rappelait encore ce principe fondateur d’une Université qui, « de façon critique, produit et transmet la culture à travers la recherche et l’enseignement ». Ironie ou cynisme, c’est encore à Bologne que fut initié un an plus tard le processus de réformes, inspiré du rapport livrant les universités aux logiques marchandes : Bologne contre Bologne [3] !

    Le grand saccage des universités découle directement de ce processus visant à créer « l’économie de la connaissance la plus dynamique et compétitive du monde », initié il y a dix ans en conformité avec la « stratégie de Lisbonne » de l’Union européenne. A l’automne 2007 un carteron de présidents réformateurs exultait : « La mise en place de l’ensemble des nouvelles dispositions suscite un élan nouveau dans nos établissements et la communauté universitaire s’est rapidement mobilisée pour les traduire en perspective de progrès décisifs pour nos étudiants et nos équipes de recherche. » [4] Depuis, la mobilisation a changé de camp !A supposer que ces présidents aient eu la naïveté de croire tenir, grâce à leur pouvoir personnel renforcé, un équilibre entre le service public et les exigences du marché, les réformes du statut des enseignants-chercheurs, du contrat doctoral, et la masterisation ont tiré les choses au clair. Le juriste Olivier Beaud a bien résumé le sens du texte ministériel : il contribue « à réaliser une lente mise à mort que l’université française parce qu’il aspire à transformer les universitaires en employés de l’université et en sujets des administrateurs professionnels » [5]. Sous couvert d’autonomie s’institue ainsi, comme dans la réforme hospitalière, une double hétéronomie autoritaire de l’université, envers l’encadrement administratif et envers la commande des marchés.

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