• La réforme de la formation des maîtres reste un vrai casse-tête

    Si le but de la réforme de la formation initiale des enseignants était de rebattre totalement les cartes, l'opération est réussie. Xavier Darcos a quitté en juin le ministère de l'éducation nationale avec le sentiment du devoir accompli. Il a laissé à son successeur, Luc Chatel, et à Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, une bombe à retardement que ces derniers s'efforcent de désamorcer. D'autant que l'héritage résulte de la ligne fixée par le président de la République lui-même : poursuite de la politique de suppression de postes dans l'éducation et revanche idéologique contre les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), jugés coupables de propager une pédagogie nocive.

    Le système de formation encore en vigueur cette année à titre transitoire avait pour colonne vertébrale les IUFM. Intégrés aux universités depuis 2008 en tant qu'écoles internes, ils dispensent deux années de formation : l'une pour préparer les concours, l'autre pour préparer au "métier". Environ une moitié des étudiants se destinant à l'enseignement préparent leur concours par leurs propres moyens. Mais tous les lauréats s'inscrivent en IUFM pour leur année de formation professionnelle, qu'ils accomplissent, pour la dernière fois cette année, en tant que fonctionnaires stagiaires de l'éducation nationale, avec, à ce titre, un traitement de 1 300 euros par mois.

    Compenser les suppressions

    Appelée "mastérisation", car elle instaure le niveau master (bac + 5) comme condition pour le recrutement des futurs enseignants, précédemment fixé à la licence, la réforme supprime l'année de stage rémunéré. Elle envoie les lauréats des concours directement en classe. De ce fait, le gouvernement gagne sur deux tableaux : d'une part la suppression de l'année de stage rémunéré lui permet d'afficher 16 000 suppressions de postes en 2010 dans l'éducation nationale. D'autre part, d'un point de vue idéologique, il règle son compte au courant d'idées qui, dans l'éducation, est stigmatisé sous le nom de "pédagogisme", et dont les IUFM étaient considérés comme les "temples"...

    Plusieurs mesures sont destinées à compenser cette suppression. Ainsi, tout un programme de stages sera proposé aux étudiants avant le concours et - concession faite par M. Darcos - les lauréats auront une formation complémentaire sur un tiers de leur temps de service, la première année de métier.

    Les universités doivent, quant à elles, intégrer à leurs masters disciplinaires des modules de préparation à l'enseignement et mettre sur pied, pour l'enseignement primaire, des masters spécifiques. D'où des tensions persistantes : du côté des enseignants-chercheurs, qui redoutent de voir leurs masters de recherche désertés ; du côté des étudiants, qui voient se durcir les conditions d'entrée dans l'enseignement.

    En juillet, le gouvernement a fait passer des décrets qui placent les épreuves d'admissibilité aux concours (épreuves écrites) en année de master 2. La plupart des universitaires, mais aussi des représentants de formateurs et des syndicats d'enseignants, jugent cette concomitance impraticable. Elle obligerait en effet l'étudiant à cumuler sur la même année l'obtention de son master, la préparation intensive du concours et un "stage en responsabilité" de 108 heures pendant lequel il serait responsable d'une classe.

    Le projet continu d'évoluer au rythme des tractations que mènent ces dernières semaines les deux ministères avec l'ensemble des partenaires impliqués dans ce dossier.

    Presque tous réclament que les décrets soient revus et que l'admissibilité soit placée en fin de master 1, ce qui permettrait aux recalés de se réorienter. Le but est de parvenir rapidement à une solution "opérationnelle".

    Un calendrier serré

    Le calendrier politique, qui a besoin d'afficher la "réforme accomplie", vient maintenant rattraper le calendrier administratif et gestionnaire qui impose, pour un début d'application à la rentrée 2010 (dans la perspective de nouveaux concours en 2011), d'en fixer les modalités précises. Quatre groupes techniques, composés de représentants des ministères de l'éducation et de l'enseignement supérieur, planchent depuis le 4 septembre sur la mise en oeuvre de la réforme.

    Une synthèse de leurs recommandations sera remise fin octobre aux ministres, qui devraient rendre leurs arbitrages en décembre. Outre les dates des concours, d'autres points cruciaux tels que leur contenu, leur articulation avec les masters, les prescriptions d'un éventuel "cadrage national", la nature de la formation après le concours et le rôle incombant aux personnels des actuels IUFM restent à définir. Selon un calendrier qui, cette année, a été enrayé par la contestation, les universités auront jusqu'à mi-avril pour communiquer leurs maquettes de formation. Le gouvernement, qui souhaite apaiser les inquiétudes, risque encore gros sur ce dossier. La filière d'accès à l'enseignement se trouve au point de jonction des angoisses des universitaires, des enseignants et des étudiants. Sans oublier celles des parents, aussi concernés par la perspective de voir des débutants non formés arriver dans les classes.

    Dans le contexte de défiance qui caractérise les relations entre le gouvernement et le monde universitaire, le manque de lisibilité de cette réforme ouvre la voie à toutes les interprétations. Même la hausse du niveau de recrutement, pourtant reconnue par les syndicats d'enseignants, est niée par une partie des universitaires. Ceux-ci font valoir qu'en prenant en compte les deux années actuelles de formation après la licence, le recrutement s'effectuait en fait déjà à "bac + 5". L'argument mélange conditions d'inscription et durée de formation, mais il est symptomatique des suspicions qui pèsent sur cette réforme.

    Malgré les démentis officiels répétés, les contestataires considèrent comme une évidence que son but réel consiste à marginaliser la voie du concours dans le recrutement des enseignants.

    Source : http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/11/16/la-reforme-de-la-formation-des-maitres-reste-un-vrai-casse-tete_1253142_3224.html


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