• Université : le gouvernement veut faire passer la masterisation de force

    Jusqu’au bout, le gouvernement veut passer outre l’opposition des universitaires à ses réformes. Dernier exemple en date : alors que la commission Marois-Filâtre chargée de déminer l’épineux dossier de la réforme de la formation des enseignants doit rendre ses conclusions le 15 juillet, les projets de décrets (notamment doc 1 et doc2) instaurant la « masterisation » viennent d’être publiés. Ils doivent passer en comité technique paritaire ministériel (CTPM) le 27 mai, et au conseil supérieur de la fonction publique le 12 juin. Si la cadence est la même que pour la réforme du statut des enseignants-chercheurs – promulguée pendant les vacances de Pâques –, ils pourraient donc être examinés par le Conseil d’état dans la foulée et être promulgués avant fin juin. « C’est un véritable putsch, le passage en force des passages en force de ces derniers mois ! », proteste Pascal Maillard, professeur de littérature française à l’université de Strasbourg, et membre du collectif de l’Appel de Strasbourg, très mobilisé contre la masterisation.

    Que contiennent ces décrets ? Exactement ce que les opposants à la masterisation dénoncent depuis le début de leur mobilisation à l’automne dernier : en plus de réussir le concours de recrutement dans l’éducation nationale, les futurs enseignants devront obligatoirement obtenir un master pour devenir fonctionnaires stagiaires. Ce qui retarde d’autant la rémunération des futurs profs, jusqu’ici rémunérés dès leur deuxième année de formation. Ce décalage permettrait à l’Etat d’économiser 480 millions d’euros, selon le calcul de l’Unef.

    Mais les décrets vont plus loin encore, en supprimant le bénéfice du concours aux étudiants qui échoueraient à obtenir leur master après un redoublement. « C’est un événement majeur dans la fonction publique française, la remise ne cause de la nature pérenne de la réussite à un concours », estime Pascal Maillard. La portée de ces textes réglementaires est potentiellement très importante car ils « modifient les conditions de recrutement, d’affectation, de titularisation et de déroulement de carrière » de « tous les corps enseignants : professeurs des écoles, certifiés, agrégés, professeurs en lycée professionnel, d’éducation physique et sportive, et le corps des conseillers principaux d’éducation », note la FNEC FP (FO) qui demande le retrait des projets de décrets de l’ordre du jour du CTPM. 

    « Des méthodes de voyous »

    Comme s’y était engagé Xavier Darcos, ces projets de décrets entérinent les dispositions transitoires pour les sessions 2009 et 2010 des concours. A une nuance près : seuls les titulaires d’un master 1 pourront être recrutés à la rentrée 2010. Ce qui pourrait signifier que c’est bien dès la rentrée 2009 que commence à s’appliquer la masterisation. Maria Stavrinaki, maître de conférences en histoire de l’art contemporain à la Sorbonne (Paris 1) et membre de la Coordination nationale des universités, est catégorique : « Ce sont des méthodes de voyous. Ce gouvernement n’a pas de parole. » A défaut de maquettes de masters prêtes, le gouvernement pourrait être contraint de retarder cette obligation de masters. Une vingtaine seulement de maquettes de cours de masters ont été remontées au ministère de l’enseignement supérieur par les facs, au point que l’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres) a renoncé à évaluer cette nouvelle offre de formation.

    Les dérogations concédées par les cabinets de Xavier Darcos et Valérie Pécresse pour les concours de 2009 et 2010 avaient été, lors de leur annonce le 13 mai, saluées par les syndicats (FSU, Unsa-éducation et Sgen-CFDT). Mais tous avaient aussi réclamé plus de temps pour la préparation et la mise en place de la réforme voulue par le ministère de l’éducation nationale. Le 18 mai, le conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), comité consultatif auprès du ministère, a exigé « une remise à plat complète du dossier (...) en y consacrant le temps nécessaire ».

    Ces appels à ralentir la cadence de la refonte de la formation des enseignants n’ont visiblement pas été entendus. Pour Pascal Maillard, les groupes de travail réunis ces dernières semaines à l’initiative des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur ont été « des attrape-mouches syndicales. Le Sgen, l’Unsa et la FSU se sont fait piéger » puisque que, malgré un processus apparent de concertation, le gouvernement continuait en réalité à avancer sa réforme sans bouger d’un iota. Pour Stéphane Tassel, secrétaire général du Snesup, la publication des décrets fait bien la preuve que « tout ne peut pas être remis à plat » et que sur le fond le gouvernement maintient la masterisation. Pour le collectif de lutte de l’IUFM de Paris, le ministère est synonyme de « Comment dit-on, déjà ? J’écoute mais je ne tiens pas compte ! »

    Peut-être plus encore que la réforme du statut des enseignants-chercheurs, la refonte de la formation des profs et des maîtres a été un puissant levier de la mobilisation universitaire depuis six mois. Pour beaucoup d’entre eux, c’est à la fois l’avenir de leur discipline universitaire comme champ de recherche qui se joue dans cette affaire et le sort du service public d’enseignement.

    Deux mois de grève début 2010

    Rendus publics le 19 mai, les projets de décret ont aussitôt tourné sur les listes de diffusion militantes et chauffé les esprits. Mais ils ont jusqu’ici suscité peu de réaction parmi les syndicats, Sauvons l’université, IUFM et autres collectifs militants, sans doute servis par un timing redoutable : la levée des blocages des examens dans les universités les plus impliquées dans la grève – les textes sont parus le jour où Paris IV votait la fin du blocage – et le week-end férié de l’ascension. Et dans un contexte de pressions redoublées sur les universités pour que s’y tiennent rattrapages des cours et examens du second semestre : surveillance intrusive par les rectorats du décompte des jours de rattrapage, menaces de non-validation des examens tenus sans rattrapage, interventions policières contre les blocages (voir en Prolonger le témoignage que Mediapart a reçu concernant l’université de Saint-Etienne).

    Après son passage en force sur la modulation de services, et les messages d’intimidations à l’égard de ceux perturbant les examens martelés depuis des semaines par Valérie Pécresse, Xavier Darcos, François Fillon et Nicolas Sarkozy, le gouvernement semble prendre de nouveau le risque de jouer les incendiaires.

    La levée successive des blocages et des grèves ces jours-ci dans la plupart des universités ne doit donc pas trop vite être interprétée comme le signal de la fin du mouvement. « Plutôt un moment de transition, il faut se débarrasser du boulet des examens pour que puisse reprendre la lutte », explique un maître de conférences de l’université de Besançon. « Nous faisons passer des examens mais nous ne céderons pas », a déclaré de son côté le comité de mobilisation de Paris 4 à l’issue de quinze semaines de grève, une des plus longues du mouvement.

    Certains universitaires très engagés contre la masterisation promettent d’ores et déjà de reprendre les cours en grève à la rentrée de septembre : « C’est l’avenir de notre métier qui est en jeu. » Lors de la dernière coordination nationale des universités, à Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne), certains délégués ont envisagé la rétention des notes du second semestre 2009. Une université d’été « en lutte » pourrait se tenir en juillet ou en août pour y élaborer une nouvelle stratégie d’actions. D’autres réfléchissent à l’organisation de grèves perlées. Lors d’une réunion mercredi 20 mai à l’EHESS autour du Manifeste « des 29 » pour la refonte de l’université publié dans La Revue du Mauss, des voix évoquaient une grève de deux mois début 2010 pour organiser des états généraux de l’université.

    Après trois mois et demi de grève, et six mois de mobilisation, une séquence politique se termine. Quel bilan en tirer ?

    o Sur le contenu des réformes :

    Pour Alain Caillé, directeur de La Revue du Mauss et co-initiateur du Manifeste des 29, « la LRU est mort-née », désormais discréditée même aux yeux de ceux qui la défendaient. Même au sein de la conférence des présidents d’Université (CPU), des voix s’élèvent pour demander une révision de loi, pour en modifier les modes de gouvernance. Une perspective jusqu’ici écartée – officiellement – par l’entourage de Valérie Pécresse.

    Concernant la modulation de services, « on a relativement perdu mais pas complètement », analyse le juriste Olivier Beaud, l’une des têtes de pont de la mobilisation contre la réforme du statut des universitaires : « Si les universitaires restent solidaires et mobilisés, je vois mal comment un conseil d’administration d’université pourra imposer la modulation aux universitaires. » Même analyse pour de nombreux syndicalistes : le combat contre la LRU va se transposer sur le terrain local, fac par fac. Bon courage aux premiers établissements qui voudront obliger leurs enseignants à faire plus de cours et moins de recherche. Ce ne sera en tout cas pas dès septembre : Bernadette Madeuf, présidente de Paris-X (Nanterre), remarque que « la modulation de service est inapplicable à la rentrée 2009 » en l’absence de référentiel national et sans évaluation préalable des enseignants-chercheurs par le Conseil national des universités (CNU).

    o Sur l’université :

    « Tous perdants », enseignants et étudiants ? C’est la lecture dominante, du Figaro à Libération (version papier) : l’université sortirait affaiblie et son image « durablement écornée » (Yves Thréard) de ces six mois de conflit. Il y a une autre façon de voir les choses. C’est par exemple celle du philosophe Marcel Gauchet, pourfendeur inattendu de la politique de Valérie Pécresse : « Le gouvernement a gagné une victoire mais pas la guerre. La guerre maintenant est sur le plan intellectuel. » Comme si de manifestations en AG, une communauté universitaire avait fini par prendre corps, malgré ses profondes disparités, soudée par le rejet des réformes. Et se voulait toute prête à se défendre en proposant une autre vision de la réforme de l’enseignement supérieur. Le 4 juin, le défilé de l’Academic pride pourrait consacrer cette renaissance du collectif universitaire.

    o Sur le gouvernement :

    La méthode du passage en force au bulldozer se solde par un échec : certes les décrets sont promulgués et publiés les uns après les autres, et les apparences de la réforme sauvegardées. Mais quel poids auront ces textes réglementaires si personne ne veut les appliquer ? Pour Alain Caillé : « Aucune université ne peut fonctionner sans communauté universitaire. » Et personne, pas même un exécutif autoritaire et menaçant, ne peut gouverner les universités sans les universitaires. C’était le sens profond de l’appel de la Sorbonne : « Nous sommes l’université », proclamaient les chefs d’établissement signataires. Preuve de leur adhésion à l’idée d’autonomie. Et gros grain de sable dans la mécanique de la réforme vantée par l’Elysée. Bâclée à l’été 2007, complétée de décrets mal ficelés et archi contestés au printemps 2009, discréditée par la plus longue grève dans l’enseignement supérieur depuis des décennies, la LRU fera-t-elle pschitt ?

    Source: http://www.mediapart.fr/journal/france/210509/universite-le-gouvernement-veut-imposer-la-masterisation-de-force


    Tags Tags : , , , ,