• À l'heure où il nous faut revivre exactement ce que nous avons vécu à l'automne dernier (les mêmes réunions et les mêmes débats pour voter les mêmes motions), il n'est peut-être pas inutile de retrouver le souvenir de quelques-uns des textes qui ont marqué, sinon nourri, le mouvement du printemps. Un ouvrage vient de paraître qui les rassemble opportunément:


    L'université et la recherche en colère. Un mouvement social inédit


    Sous la direction de Claire-Akiko Brisset


    Éditions du Croquant, 25/09/2009, 368 pages
    ISBN : 978-2-9149-6861-4 (22.00 euros )


    « Depuis combien de temps n'avons-nous pas un débat sur quelle était la politique scientifique de la France ? C'est quand même un sujet ! » Ainsi que l'a lui-même réclamé le 22 janvier 2009 Nicolas Sarkozy dans son discours « À l'occasion du lancement de la réflexion pour une stratégie nationale de recherche et d'innovation », le débat a eu lieu. En partie suscité par ce même discours au style inimitable, il s'est tenu dans les universités, dans les laboratoires de recherche et dans la rue. Il a été conduit par des enseignants-chercheurs, des chercheurs, des personnels administratifs et techniques, par des étudiants et par des concitoyens durant des mois. Parallèlement à d'autres mouvements sociaux inédits comme la lutte contre la réforme de l'hôpital public, ses acteurs ont eu le sentiment de mener seuls ce débat. Ils se sont heurtés à un gouvernement non seulement sourd à toutes les formes de protestation, mais avant tout soucieux de priver de toute crédibilité ce mouvement de grève et de contestation unique, dans l'histoire de l'université française, par son ampleur et sa longueur. Certes, les « réformes » mises en oeuvre progressivement ne datent pas d'hier, mais ce gouvernement a plus à coeur que d'autres d'accélérer le processus de marchandisation du service public, n'hésitant pas au besoin à user de mensonges flagrants, complaisamment relayés par les médias. Le but de ce livre est de rétablir quelques vérités et de permettre à des acteurs du mouvement de s'exprimer : qu'est-ce que l'université et plus généralement le monde de la recherche aujourd'hui ? Quelles sont ces « réformes » qu'on veut leur imposer et pourquoi s'y opposent-ils avec tant d'énergie ?

     

    Claire-Akiko Brisset est maître de conférences à l'université Paris Diderot-Paris 7. Spécialiste de l'histoire de la culture visuelle japonaise classique et moderne et d'histoire de la littérature japonaise classique, elle a récemment publié À la croisée du texte et de l'image : paysages cryptiques et poèmes cachés (ashide) dans le Japon classique et médiéval, Paris, Collège de France, 2009.




    Table des matières

    La « guerre de l'intelligence » m'a tuer
    Claire-Akiko Brisset

    L'autonomie des universités veut dire la mise au pas des universitaires
    Marcel Gauchet

    Réformes de l'enseignement supérieur et de la recherche : une contre-révolution
    Michel Saint-Jean et Isabelle This Saint-Jean

    Pour une vraie réforme de notre système d'enseignement supérieur et de recherche
    Alain Trautmann, Georges Debrégeas et Didier Chatenay

    « Oui chef, bien chef »
    Christian de Montlibert

    L'institution universitaire face à l'économie de la connaissance
    Geneviève Azam

    Pour comprendre les « réformes » de l'Université et y résister, changeons d'échelle ! La stratégie de Lisbonne et les mobilisations européennes contre le « marché de la connaissance »
    Isabelle Bruno

    Un commentaire de texte du discours de Nicolas Sarkozy : « À l'occasion du lancement de la réflexion pour une stratégie nationale de recherche et d'innovation » (22 janvier 2009)

    Antoine Destemberg

    L'université aux prises avec l'idéologie de la performance
    Sylvain Piron

    Les fainéants et les mauvais chercheurs, au travail !
    Pierre Jourde

    Modulation de service : un décret au service d'une décrépitude annoncée
    Olivier Ertzscheid

    Réforme du statut des enseignants-chercheurs : une période de glaciation intellectuelle commence
    Christophe Mileschi

    La « réforme » du CNU
    Daniel Mortier

    Une leçon pour Valérie Pécresse : les inégalités sociales dans l'enseignement supérieur
    Charles Soulié

    L'Université payante, dernier pan de la modernisation universitaire libérale
    Frédéric Neyrat

    Des pauvres plus pauvres, des riches plus riches : les enjeux « égalitaires » de la réforme des CROUS
    Philippe Selosse

    Leurs intentions sont pures
    Julia Bodin

    Recherche : l'apogée d'une vision utilitariste
    Henri Audier

    Quand enterrerons-nous les fossoyeurs ?
    Hélène Cherrucresco

    « Et d'ailleurs, au fond, que veulent-ils ? Encore deux ans de palabres… » ou comment Valérie Pécresse évita de voir à Berkeley ce qu'il aurait été utile qu'elle contemplât
    Déborah Blocker

    Apprenons du malheur du pays des All Blacks
    Ian Vickridge

    Et si c'était maintenant que ça commençait ?
    Sauvons l'Université !


    Source : http://www.fabula.org/actualites/article33362.php


  • L’audition proprement dite s’est déroulée comme prévu lundi 28 septembre. Un grand merci à tout ceux et toutes celles qui ont participé au rassemblement de soutien ainsi qu'aux 1500 personnes qui ont signé la pétition.


    Là pour la forme, ces conseils de discipline auront juste été un passage obligé pour la direction de l'université dans le but de réprimer. L'instance serait indépendante, capable de ne pas avoir d'avis tranché à l'avance... A d'autres!


    Le ton avait déjà été donné pendant l’instruction. Une saisie de cette instance sans témoignage, un dossier rempli une heure avant la première audition, et ceci avec le récit d’une unique personne, M. Riffard, directeur du pôle international et vice-président, inconnu du plus grand nombre, qui a tout vu et tout entendu et qui serait parvenu à reconnaître chacun-e. Puis d’autres éléments sont venus étoffer les accusations, des rapports et des témoignages qui, sont sans nul doute tout-à-fait spontanés et sans arrière fond...


    Allez, on y va! Mme Sarmejeanne, secrétaire générale de l’université, Mme Morini, vice présidente du Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire, Mr Goy, vice-président délégué aux finances, M. Gay, doyen de la faculté sciences humaines et sociales, Mr Fugit, directeur adjoint de la faculté des sciences et techniques, Mme Vigne, doyenne de la faculté de droit, Mr Foury, directeur de la communication, Mr Giraudet, vice-président délégué à la vie étudiante, Mme Labouré, vice-présidente déléguée à l'insertion professionnelle et à la réussite universitaire et directrice du SCUIO (Service Commun d'Information, d'Orientation et d'Insertion Professionnelle).


    Les dossiers d’instruction se résument ainsi à des témoignages émanant de personnes d’une part très proches de M. Khaled Bouabdallah et qui n’ont d’autre part pour la majorité d’entre elles vraisemblablement jamais recontré les étudiant-e-s convoqué-e-s (pour ceux et celles connu-e-s, ils et elles se sont fait remarquer pour leur acharnement contre le mouvement de grève). Quant à la forme que prennent les dossiers d’instructions, du copier-coller !


    Lundi était donc, si on compare cela à la justice, le jugement. Une vaste mascarade. Une impression que tout était déjà jugé...


    Chacun-e a eu le droit à la présence d’un grand nombre de témoins pour une sorte d’audience contradictoire. Contradictoire entre qui, cela on ne le saura jamais. Impossible de poser des questions aux témoins, transformés pour certains à l’occasion en juges. Pas de témoins cités par les étudiant-e-s. Et puis ce fut à certains moments du grand n’importe quoi; certains témoins ne se sont plus souvenu avoir témoigné, d’autres ont parfois laissé apparaître leur méconnaissance des accus-é-s ou parlé de « noms qui circulent » et de « réputation ». La défense, pourtant préparée avec soin, a semble t-il été balayée d’un revers de la main. C’est ainsi, qu’à la demande, légale et formulée au début de chaque passage, de récusation d’une personne du conseil de discipline membre de l’UNI (association de droite dont une des campagnes porte le nom effrayant de « Français, et fier de l’être » et dont le membre présent avait pourtant pris des positions publiques plus que claires contre le mouvement de grève... voir aussi ici), le président de ce dit conseil de discipline a refusé, affirmant que les actions menées étaient sans lien avec un quelconque mouvement de contestation, glissant au passage que cela serait étudié en appel...


    L'expression « exécution politique » semble appropiée pour désigner cette procédure disciplinaire. Après l’intervention des CRS, première dans l’histoire de l’université de Saint-Etienne, de tels conseils de discipline n’ont pas non plus d’antécédent et constituent une menace pour tous ceux et toutes celles qui participeront à un mouvement social ou qui exprimeront leurs désaccords politiques avec l'équipe présidentielle.


    Quatre sanctions sont à ce jour connues. A la mesure du désir d'éradiction manifesté par l'équipe présidentielle et de la volonté de faire des exemples, elles vont pour le moment du blâme à l'exclusion avec sursis de deux ans. L'esprit « pédagogique » de ces conseils de discipline (dixit Khaled Bouabdallah), n'en n'est que plus clair... Ferme ta gueule !

    Source : http://ujmenlutte-st-etienne.over-blog.com/article-36786255.html


  • En cette période de rentrée universitaire, le recteur, comme sa ministre de tutelle, Valérie Pécresse, se félicite des avancées obtenues en faveur des étudiants et se réjouit de la proche mise en œuvre de la loi LRU dans l’académie de Nice. Le constat n’est pourtant pas brillant.

    « Jamais l’état n’a autant investi dans l’enseignement supérieur », martèle Christian Nique pour contester le désengagement de l’état dénoncé par le milieu universitaire. Mais, comble de l’ironie, c’est le transfert de compétences et les « problèmes que va générer cette restructuration » qui vont peser cette année sur le budget alloué aux universités. En espérant qu’il reste quelques miettes pour alimenter les fonds sociaux.

    Malheureusement, cette année, l’augmentation des bourses, comprises entre 18 et 63 euros, par an reste encore notoirement insuffisante au regard du coût de la vie étudiante. Parmi les dépenses qui pèsent le plus sur le budget des étudiants, le loyer figure en première position. Hors, le recteur dresse un bilan alarmant sur la situation de l’académie. Le parc actuel géré par le CROUS ne comprend que 3614 logements pour plusieurs dizaines de milliers d’étudiants. Durant les deux prochaines années, l’effort de l’académie se portera sur la réhabilitation, (et non la création), de 458 logements…De quoi résorber définitivement la pénurie de logement dans le monde universitaire !?! Ce coût de la rentrée, au delà des difficultés qu’il impose aux étudiants révèle des réalités encore plus dures : celle des lycéens qui ne pourront plus faute de moyens franchir le seuil de l’université et celle des étudiants qui renonceront à poursuivre leurs études. Un phénomène largement répandu dans le département que Christian Nique explique par le fait que « les jeunes ont perdu l’appétit d’apprendre… ». Dans un tel contexte, peut être pourrait-on plutôt avancé qu’ils ont simplement perdu le goût de la soupe du secours populaire ? La rentrée du recteur était surtout l’occasion de vanter les mérites de la loi LRU. Le passage à l’autonomie de l’Université de Nice Sophia-Antipolis est prévu le 1er janvier 2010 et envisagé pour l’Université Toulon Var avant 2012. En comptable avisé, Christian Nique s’extasie sur les opportunités offertes, par cette loi, aux universités pour alimenter leur budget. « Même les personnes qui paient l’ISF bénéficieront d’avantage fiscaux en investissant dans les facultés », s’émerveille t-il. Un enthousiasme difficile à partager lorsqu’on se rappelle la levée du bouclier fiscal mais surtout devant la menace que fait planer la gouvernance de ces intérêts privés sur l’avenir de la recherche et de l’enseignement.

    Source : http://www.le-patriote.info/spip.php?article2949


  • PARIS — L'Education nationale, qui reste le premier budget de l'Etat et emploie près de la moitié de ses agents, paiera le plus lourd tribut aux suppressions d'emplois en 2010, avec 16.000 postes en moins.

    Comme l'avait dévoilé fin juin Xavier Darcos, le prédécesseur de l'actuel ministre de l'Education Luc Chatel, le nombre des départs en retraite non remplacés prévu dans le projet de budget 2010 est de 16.000, après 13.500 en 2009, 11.200 en 2008 et 8.700 en 2007.

    Au total, l'Education nationale emploie près d'un million d'agents publics et le budget de l'enseignement scolaire, le plus important de l'Etat, sera de 60,848 milliards d'euros en 2010 (+1,56%).

    La philosophie générale est de "conduire le maximum d'élèves aux niveaux de compétence attendus", le budget fixant d'ici 2011 une cible de 66% d'une classe d'âge ayant le baccalauréat (taux atteint pour la première fois cette année, avec 66,4%).

    Autres objectifs: "accroître la réussite des élèves issus des catégories sociales les moins favorisées" et des enfants handicapés, et "employer le plus efficacement possible" les enseignants.

    Selon le ministère, la répartition des postes sera la suivante: 2.658 seront créés en primaire du fait de la hausse du nombre d'élèves et 144 dans le secondaire défavorisé; mais 600 postes d'agents administratifs seront supprimés et une économie sera faite sur 18.202 postes d'enseignants stagiaires.

    Ceci est un effet direct et déjà connu de la réforme de la formation des professeurs: pour sa première année d'application, à la rentrée 2010, les étudiants qui auront réussi le concours d'enseignant ne seront plus affectés en IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) mais directement en classe, ce qui permettra d'économiser les postes de stagiaires cités.

    "La poursuite de suppressions qui viennent s'ajouter à d'autres déjà intervenues va dégrader les conditions de travail et réduire les possibilités du service public de faire face aux besoins et de lutter contre l'échec et les inégalités", a réagi à l'AFP le patron de la FSU, Gérard Aschieri.

    Il fustige "des mesures très marquées par l'idéologie, et paradoxales: hier, Nicolas Sarkozy faisait un discours sur la jeunesse, mais ces suppressions, ce sont des postes en moins pour les jeunes".

    "Si l'on compare ce que rapportent les suppressions de postes, environ 500 millions d'euros par an, et les mesures fiscales qui réduisent les recettes de l'Etat, par exemple 2,5 à 3 milliards pour la baisse de la TVA dans la restauration, c'est sans commune mesure", a-t-il fait valoir, déplorant qu'il n'y ait "jamais de débat sur l'efficacité comparée de ces choix".

    En cette rentrée, syndicats d'enseignants et autres organisations du monde éducatif ont jugé que les suppressions de postes et moyens en cours avaient des effets négatifs: classes surchargées, manque de remplaçants, baisse de la scolarisation des moins de trois ans en maternelle, déficit de personnels accompagnant les enfants handicapés, problèmes d'affectations en lycées professionnels, insuffisance de professeurs de sport handicapant la pratique de certaines disciplines dont la natation, etc.

    Ils ont aussi estimé qu'à partir de 2010 et surtout 2011, le boom démographique ayant débuté en 2000 se ferait sentir au collège et que les suppressions de postes en cours ne préparaient pas l'avenir.

    Source : http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5hKX5dkT7NuQcdSZ-qxA5vmLB18Gw


  • Le 19 octobre 1939, le Cnrs est créé par décret... dans le cadre d'une mobilisation nationale pour la guerre commencée. La célébration de son 70ème anniversaire, pour laquelle la direction de l'organisme organise colloque, publications de livres et brochures, exposition, est marquée par de lourdes menaces sur son rôle.

    Hier, la direction du Cnrs avait convié les journalistes à venir échanger quelques mots autour d'un café sur cet anniversaire. L'échange fut bref mais finalement instructif. D'abord par la remise d'un fort intéresssant ouvrage - Histoire du Cnrs - écrit par l'historien Denis Guthleben (lire ci dessous). Mais aussi par l'habile non réponse de madame Bréchignac à la question que je lui ai posé.


    «A quoi servez-vous ? Vous, la direction du Cnrs, dans un contexte où avec la création de l'ANR - qui distribue des crédits à vos équipes - et de l'AERES - qui évalue vos laboratoires. Sur quels moyens pouvez-vous compter pour conduire une politique scientifique ?». Telle était la question. La réponse fut - je résume - que le Cnrs est «une pépinière d'idées», qu'il est responsable de la «coordination des recherches au niveau national», et en charge «des projets à long terme, notamment ceux impliquant des équipements très lourds», en somme «un outil au service des chercheurs».

    Je résume, mais vous avez bien lu. La présidente du Cnrs - ni le directeur général Arnold Migus - n'ont répondu à la question posée : à quoi sert la direction du Cnrs ? Catherine Bréchignac est bien trop fine mouche pour ne pas avoir pesé son propos. La question peut sembler anecdotique, et la réponse finalement plus intéressante, portant sur la question plus large : à quoi sert le Cnrs ? Paradoxe, c'est l'inverse qui me semble vrai. Défendons cette idée...

    Pour la comprendre, il faut d'abord se débarrasser d'une représentation du Cnrs très commune - notamment dans les milieux politiques et médiatique - qui en fait une "maison" constituée de ses 25 000 salariés, dont 11 000 chercheurs, aux cloisons la séparant très clairement du reste de la communauté scientifique et universitaire française. Ainsi, en prononçant le sigle Cnrs, on croit souvent désigner un monolithe dont la vie interne serait l'alpha et l'oméga de son existence. Cette vision fut assez exacte... au début des années 1960. Elle date donc un peu.

    Qu'est-ce donc que le Cnrs aujourd'hui ? C'est d'abord et avant tout un ensemble d'environ 1200 laboratoires mixtes (UMR, en co-tutelle avec universités, GE, autres organismes de recherche) où les salariés du Cnrs sont en minorité, où des équipes majoritairement composées de non salariés du Cnrs (universitaires, thésards et post-docs) produisent une science dont les expériences et les productions (résultats et articles scientifiques) sont majoritairement le fait de ces équipes. Même son comité national comporte un pourcentage significatif de non-salariés du Cnrs, on a compté jusqu'à la moitié de ses présidents de section qui étaient universitaires.

    La situation diffère selon les disciplines scientifiques - en physique, chimie, sciences de l'Univers - la production des laboratoires mixtes du Cnrs domine très largement le paysage national, ce n'est pas le cas en SHS ou en biologie. Mais l'imbrication du Cnrs avec le tissu universitaire et surtout le fait que le mode opératoire majoritaire de la recherche française soit l'équipe et le labo mixtes  (université/organisme de recherche, Cnrs pour la plupart) fait de l'image de la maison aux cloisons étanche une simple illusion.

    L'autre volet décisif de l'affaire est la réponse à la question : qui pilote l'ensemble ? Alors qu'elle était directrice générale (Directeur Général, bougonne Catherine, en accord sur ce point avec l'Académie), à l'époque de Claude Allègre au ministère, elle m'avait déjà confié «finalement, je ne suis qu'une go-between». Elle voulait parler du fait suivant : pour créer un labo, financer un équipement important, lancer un grand programme, le Cnrs ne pouvait plus faire cavalier seul, faute de moyens. Crédits du FRT et du FNS (ministère), crédits régionaux, accords avec le CEA, l'Inserm, les universités (qui apportent souvent les locaux)... tout cela était déjà devenu condition sine qua non à la mise en oeuvre d'une décision de politique scientifique.

    Depuis les années 1990, tout est allé dans ce sens, réduisant encore la marge de manoeuvre des directions du Cnrs à tous les niveaux ( du labo à la présidence) : la création de l'ANR et de l'AERES, des crédits sous pression, des effectifs stagnants, la perspective de budgets globaux pour les universités les transformant en partenaires capables de négocier... le tout à travers des crises de direction, de relations houleuse avec les gouvernements.

    Devant cette situation, une "frénesie de réformes" pour reprendre l'expression de Guthleben dans son livre, a saisi ministres et directions. L'une des plus étonnantes fut la tentative menée par le directeur général Bernard Larrouturou. Ce dernier - seul aux manettes en raison de la maladie du président Gérard Mégie - a finalement répondu par une sorte de défi suicidaire à la politique gouvernementale qui restera un cas d'espèce (lire ici, ici, ici et ici des papiers parus dans Libération à l'époque) passionnant pour les historiens et les sociologues. Confronté à un gouvernement qui lui donne mandat de "réformer", dans un cadre de réduction des moyens, il répond "ok, je vais donc couper, couper, couper, réduire le Cnrs, ses labos mixtes, pour concentrer les moyens sur moins de labos et ainsi restaurer sa capacité d'initiative". En gros, abandonner la mission "nationale" pour défendre "l'autonomie" de la "maison" désormais dirigée par des "managers" et non des scientifiques faisant là un interim entre deux manips. La tentative fut suicidaire en partie en raison d'une erreur de stratégie : Bernard Larrouturou pensait pouvoir conduire ce changement volontariste à travers une réorganisation puisant ses réferences dans des techniques managériales et non sur un discours de politique scientifique. Malgré le renfort tardif de Jean-François Minster, l'opération s'est finalement heurtée à une coalition disparate (gauche/droite pour aller vite), l'estocade finale étant portée en janvier 2006 par une manoeuvre directement pilotée depuis l'Elysée avec l'aide du président du Cnrs Bernard Meunier.

    Cet épisode éclaire la non-réponse de Catherine Bréchignac. A quoi sert la direction du Cnrs ? Pour «recruter les meilleurs» - l'une des missions centrales du Cnrs selon elle - point n'est besoin d'une direction, il suffit de bons jurys de recrutement, les sections du comité national en sont un bon exemple, même s'il faut améliorer les procédures afin de diminuer le nombre des audités et densifier leur audition. A cet égard, lorsque Catherine Bréchignac se félicite de compter désormais «27% d'étrangers» dans les derniers recrutements (je ne sais pas si elle parlait des CR ou de l'ensemble CR plus DR), en assimilant ce fait à l'idée que le Cnrs recruterait «les meilleurs», elle ne fait qu'enfoncer un coin dans l'argumentaire gouvernemental : c'est bien le statut Cnrs et la qualité de l'environnement scientifique qu'il propose qui sont attractifs.

    Conduire les projets de long terme avec des équipements lourds ? Finalement, la seule décision vraiment autonome prise par l'actuelle direction du Cnrs, c'est l'achat en janvier 2008 d'un supercalculateur IBM... à la fureur du ministère qui voulait que toute décision sur le calcul intensif passe par le GENCI. J'exagère ? Prenons l'exemple de la génétique : de l'avis de nombre de scientifiques et de la directrice de l'Institut écologie et environnement, il faut mettre à niveau l'équipement du Génoscope - le centre national de séquençage - d'Evry. Voilà une décision de politique scientifique importante, qui relève de la recherche fondamentale. Le Cnrs peut-il la prendre ? Non. Le CEA, auquel on a récemment confié le Génoscope, a t-il les moyens de le financer ? Non. Vers qui se tourner pour trouver 25 millions d'euros (c'est quand même pas la mer à boire pour le seul équipement national dans ce domaine très compétitif au plan international) ? Mes interlocuteurs ne voient de solution que dans un montage pluriannuel et pluri-guichets (européen, national, régional, multi organismes).

    Catherine Bréchignac parle du rôle de «coordination nationale» qui serait dévolue au Cnrs. Mais ce dernier n'a pas les moyens lui permettant de financer et conduire des programmes, en particulier interdisciplinaires, au titre de son rôle d'agence de moyens. Ce dernier est une farce, inventée par le ministère de Valérie Pécresse, dont le principe de base est : pas d'argent, mais un titre ronflant... Ou alors, il faut considérer que la participation de la direction du Cnrs à la série d'Alliances (des sciences de la vie, de la mer, de la recherche sur l'énergie...) que le ministère a mis en place suffit à exercer ce rôle de coordination nationale.

    L'amusant - en quelque sorte comme disait Prigogine - c'est que l'influence réelle du Cnrs sur la politique scientifique prend aujourd'hui un autre chemin. Celui des "experts" et des commissions en tout genre de l'ANR et de l'AERES. Bien souvent, lorsque l'on forme de telles commissions (par exemple celle de l'ANR pour les programmes blancs, jeunes chercheurs ou thématiques) on retombe sur des chercheurs Cnrs et même des dirigeants de ce dernier. Il y eu même une période, au début de l'ANR, où les directions du CNRS jouaient officiellement un rôle décisif dans le programme blanc. D'où mon amusement d'entendre, par exemple, tel directeur de labo de nanotechnologie me raconter comment il passe son temps dans les comités du programme "nano" de l'ANR à en élargir au maximum le contenu afin de "faire du blanc dans le programme thématique". Les constructions technocratiques aboutissent à ce genre de perversions dont l'ironie atteint des sommets.

    Il est intéressant de confronter cette situation au récit de l'Histoire du Cnrs produit par Denis Guthleben (édition Armand Colin). Non pour la dernière partie de cette histoire, car l'auteur glisse sur les années 2000 en quelques pages peu précises, mais en raison de l'ancienneté, la permanence même écrit-il avec raison - du caractère houleux des relations entre le Cnrs et les pouvoirs politiques qui ressort de son étude. Le fond du problème est toujours le même : de quelle autonomie le milieu de la recherche fondamentale doit-il bénéficier alors que l'essentiel de ses ressources ne peut provenir que de l'Etat et de l'impôt ?
    Dans cette question le mot important est : fondamentale. Ou, de base, ou cognitive... comme vous voulez. Cela ne signifie pas du tout qu'au Cnrs on ne ferait aucune valorisation, ni recherche appliquée, ni en relation avec des problèmes industriels ou sociétaux. La question n'est pas là. D'ailleurs, le Cnrs n'en a jamais autant fait dans ce domaine, son portefeuille de brevets est important, le nombre de ses contrats avec l'industrie impressionnant... mais le problème est double :

    - alors que depuis 50 ans la part de la recherche appliquée, privée et publique, n'a cessé d'augmenter, et que ses modes de financements deviennent majoritaires, comment préserver, voire développer, la recherche fondamentale, non programmée, non définie par des objectifs de court terme clairement identifiés ?

    - quelles relations entre la recherche (et non le seul CNRS) et l'enseignement supérieur alors que ce dernier connaît une croissance phénoménale qui se traduit par un corps d'universitaires - censés être également des chercheurs - dont le nombre dépasse de loin celui des chercheurs du Cnrs ? Et dont les missions se sont élargies à la formation des cadres moyens de la société alors que son organisation en tant que système (universités, classes prépas, Grandes écoles, IUT...) ne répond pas à une logique  d'ensemble.

    Quelle que soit la réponse que l'on apporte à cette double question, elle passe aujourd'hui par les moyens que l'on donne, ou pas, aux directions du Cnrs (ou de l'Inserm, ou de la direction des sciences de la matière au CEA... ou de n'importe quelle autre structure qui viendrait jouer leur rôle) de définir et conduire des politiques scientifiques autonomes, sur la base d'un dialogue véritable avec le niveau politique (gouvernement et parlement). D'où le paradoxe que cette note prétend soutenir, que l'on pourrait résumer lapidairement ainsi : si les directions du Cnrs n'ont pas les moyens de conduire des politiques scientifiques avec un degré d'autonomie significatif vis à vis du pouvoir politique qui les nomme, pourquoi conserver l'organisme ? Si c'est juste pour avoir des chercheurs à temps plein durant une période de leur vie, il suffit de décharger de cours des universitaires...

    Source : http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2009/09/le-cnrs-a-70-ans-pour-quel-avenir-.html





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